Article publié sur le site: http://www.infos-patrimoinespaca.org/
Claude Badet, conservateur du patrimoine, ancien responsable des restaurations au CICRP, Marseille (2002-2012), conservateur délégué des antiquités et objets d’art des Alpes-de-Haute-Provence
La récente publication dans ArtItalies, revue des historiens de l’art italien, de deux articles se rapportant au tableau de l’église Saint-Pierre-ès-Liens de La Destrousse (Bouches-du-Rhône) permet désormais de faire le point sur nos connaissances concernant cette œuvre (1).
Ce tableau de très grand format (2,84 m de haut sur 4,64 m), classé au titre des monuments historiques en 1938, avait alors été attribué à un anonyme français du XVIIIe siècle et on lui avait donné pour titre La réception au ciel d'un saint évêque par saint Pierre.
Constatant le mauvais état de la peinture, la municipalité de La Destrousse souhaitait la faire restaurer. En 2010, elle se tourna naturellement vers la conservatrice départementale des antiquités et objets d’art et la conservation régionale des monuments historiques pour l’aider à définir et mettre en place le projet de restauration. Devant la complexité d’élaboration de ce dernier, ils décidèrent de faire appel au Centre Interdisciplinaire de Conservation et Restauration du Patrimoine (CICRP) pour les épauler dans cette tâche. Spécialisé dans le traitement des grands formats, équipé pour effectuer les analyses de la matière picturale ainsi que les examens de photographie scientifique, le Centre était le partenaire indiqué pour apporter une assistance dans ce type de problématique.
La préparation à la restauration
Les différents partenaires se réunirent alors à plusieurs reprises de manière à définir les étapes de l’opération (transport, campagne de prises de vues photographiques, premières analyses scientifiques, mise en place d’un marché de restauration, calendriers…).
Après préparation au transport, l’œuvre arriva fin octobre 2010 au CICRP et l’imagerie scientifique réalisée au début de l’année 2011.
L’examen attentif de la peinture nous conduisit, face à l’ampleur des repeints, à effectuer des prélèvements afin de connaître la stratigraphie de la couche picturale, en particulier dans les bleus (2).
Les études scientifiques et les recherches historiques permirent, avant même que la restauration ne débute, d’en savoir un peu plus sur cette œuvre.
Le résultat des analyses mettait en évidence deux faits. Le premier était que la peinture avait connu au moins deux phases de restaurations importantes. Le second, montrait que l’utilisation du bleu de Prusse pour la couleur bleue, datait la peinture au plus tôt après le second tiers du XVIIIe siècle (3).
De son côté, l’étude de la documentation fournie par la commune de La Destrousse (registres paroissiaux) nous apprenait que l’œuvre aurait été achetée vers 1839 à Marseille pour 150 francs par un fabricien dénommé Simon Gamerre. Nous ignorons s’il en avait fait don à la paroisse ou si le conseil de fabrique l’avait mandaté pour l’église qui venait d’être construite.
Les comptes de la fabrique, s’ils ne mentionnent pas la provenance de cette toile, notent qu’une « réparation » avait dû être effectuée.
Quelques années plus tard, peu de temps après la construction en 1872 de la nouvelle église de Saint-Pierre-ès-Liens sur l’emplacement de l’ancienne, le conseil de fabrique décidait d’une nouvelle restauration de la peinture qui se déroula de la fin de l’année 1873 au mois de juin 1874. La peinture fut ensuite placée au-dessus de la niche de l’autel dédié à saint Joseph, emplacement qu’elle occupa jusqu’en 2010.
Les registres paroissiaux s’interrogeaient également sur les origines de la famille des donateurs (leurs armoiries figurant en bas à dextre du tableau) supposée être provençale, mais les recherches menées alors n’avaient pas abouti.
Au moment où la restauration de l’œuvre allait débuter, nos connaissances sur l’histoire matérielle de la peinture se résumaient à quelques certitudes : l’auteur en était anonyme, sa provenance était inconnue mais l’œuvre avait visiblement voyagé (de son lieu d’origine à Marseille puis à La Destrousse) et avait souffert de ces pérégrinations à un point tel qu’il avait fallu la restaurer au moins à deux reprises au XIXe siècle. Bien que les sources soient muettes sur la nature de ces interventions, elles avaient à coup sûr consisté dans la pose d’une toile de renfort (rentoilage) ainsi que dans des reprises de lacunes de couche picturale.
C’était certainement une œuvre, compte-tenu de ses dimensions, qui avait été offerte par une famille noble et riche à une église ou à une congrégation.
Le marché passé et l’équipe de restaurateurs choisie, l’opération put commencer à l’automne 2011 sous la responsabilité de Frankline Barrès (4).
La restauration
Elle va se dérouler sans encombre et selon le calendrier prévu consistant notamment, après nettoyage et consolidation des accidents de la toile originale puis refixage, en une reprise du rentoilage après pose à la colle de pâte d’une couche d’intervention en tarlatane de manière à consolider déchirures et lacunes du support. Une nouvelle toile de rentoilage en lin est alors collée à la cire-résine (cette opération assurant la réversibilité du traitement).
Ce travail sur le support a confirmé que les restaurations du XIXe siècle ne s’étaient pas déroulées dans les meilleures conditions : le rentoilage présentait notamment des inégalités d’épaisseur voire des lacunes de colle. Par ailleurs, cette intervention avait engendré une modification de format dans le sens de la longueur en agrandissant légèrement l’œuvre à dextre et à senestre.
Mais surtout, il est alors apparu que la toile d’origine (en lin, au tissage moyennement serré), était d’un seul lé. Cette donnée nous indiquait donc que le métier sur lequel elle avait été tissée était de très grande taille, inusitée en France à notre connaissance, et qu’en raison du prix d’une telle toile, le commanditaire devait être fortuné.
Sur la face, les repeints et mastics débordants retirés on percevait dès lors ce que la photographie sous fluorescence d’ultraviolet laissait entrevoir, des traces de pliures régulières de la toile dues à la technique rudimentaire employée pour transporter l’œuvre.
Il convient de noter que si la plupart des mastics et repeints anciens ont été retirés certains n’ont été que partiellement dégagés, en raison de la dureté du matériau (céruse) et quelques repeints anciens ont été conservés car situés sur de grandes lacunes et esthétiquement acceptables.
L’œuvre a été mise sur un nouveau châssis avant la réintégration picturale de type illusionniste et la pose du vernis final ; une protection arrière en polycarbonate a été fixée sur le châssis puis un cadre en bois de tilleul teinté et ciré a remplacé la baguette qui avait auparavant été clouée sur les chants. L’intervention s’est achevée à la fin du mois d’octobre 2012, l’œuvre a été accrochée à un nouvel emplacement dans l’église.
Les recherches
Pendant le déroulement de la restauration les recherches documentaires se concentraient sur le blason des donateurs ; à quelle famille ces armoiries appartenaient-elles ? C’est grâce à un spécialiste de l’Institut national d’histoire de l’art que nous avons appris, à la fin du mois de juin 2011, qu’il s’agissait du blason de la famille napolitaine des Brancaccio di Gliulo.
Et c’est toujours grâce à l’Institut national d’histoire de l’art et à son Répertoire des tableaux italiens dans les collections publiques françaises (XIIIe-XIXe siècles)-RETIF saisi par Nathalie Volle à la suite d’une visite dans les ateliers du CICRP, que l’œuvre a été attribuée à Giovan Battista Rossi (1730-1782) par Nicola Spinosa. Ce qui fut confirmé par une recherche immédiate sur Internet où nous avons retrouvé la trace, lors d’une vente aux enchères chez Christie’s à Milan en mai 2010, d’une œuvre de Rossi intitulée Il Paradiso. Ebauche certainement du tableau de La Destrousse, de dimensions inférieures (74 x 102,5 cm) et qui ne comporte pas de blason.
Nicola Spinosa, dans son article de la revue ArtItalies précise le titre de l’œuvre, Saint Pierre accueillant au Paradis saint Aspreno, premier évêque de Naples, en présence de sainte Claire, sainte Candide, saint Augustin et d’autres saints et la situe dans les années 1760.
Pour lui, la découverte de l’œuvre de La Destrousse, vient éclairer d’un jour nouveau le parcours du peintre napolitain dont l’importante production avait été étudiée essentiellement à Naples. Elle confirme qu’il s’agit d’une œuvre charnière dans ces années jusqu’alors peu connues où l’artiste atteint une grande maîtrise technique et où il essaie de trouver des passerelles entre rococo et néoclacissisme naissant.
En raison de l’existence du blason des Brancaccio di Gliulo, Nicola Spinosa suppose que l’œuvre a été commanditée pour une église de San Giorgio a Cremona ou de Castellamare di Stabbia, placée sous le patronage des Brancaccio di Gliulo (où dans les deux villes, la présence de cette branche de la famille des Brancaccio est attestée) ; église ensuite démolie et détruite, ce qui expliquerait les raisons de la venue de la peinture à Marseille.
Les leçons
En raison du résultat spectaculaire auquel a abouti cette restauration, il est légitime de s’interroger, au-delà de la part de chance et des bonheurs de recherche, sur les conditions qui l’ont permis.
Une des premières constatations est l’implication de la commune propriétaire qui s’est notamment manifestée par un soutien sans faille au projet, par la recherche de financements (5), par un intérêt affirmé lors des différentes phases de la restauration (ainsi les élus et des habitants sont venus à plusieurs reprises à Marseille se faire présenter l’avancement des travaux) et par la mise en place d’actions de valorisation de la restauration auprès de la population. La seconde constatation est la confiance dont les différents intervenants institutionnels (propriétaire, autorités de tutelle, centre de restauration) ont témoigné les uns vis-à-vis des autres, confiance renforcée par le respect de la répartition des tâches à exécuter et des calendriers ainsi que par le souci constant d’information de tous les protagonistes. Cette confiance s’est également manifestée dans les relations entre les intervenants institutionnels et les praticiens de la restauration (équipe de restaurateurs, transporteurs, encadreurs (6)).
Ainsi ont été réunies toutes les conditions pour que la restauration d’une œuvre devienne ce moment unique où les spécialistes (restaurateurs, scientifiques, photographes, conservateurs, historiens de l’art et historiens) ont la possibilité d’être mis en relation, de pouvoir collaborer, d’échanger leurs résultats…
Toute une conjonction de faits, de savoirs, de relations scientifiques, de métiers a abouti, lors d’une opération classique de restauration d’une peinture, à la redécouverte d’une œuvre et d’une partie de son histoire.
Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette restauration puisse contribuer à la connaissance de la technique du peintre et l’on peut espérer que les résultats des études scientifiques et techniques pourront éclairer nos collègues italiens dans leurs propres travaux, notamment la commande à Giovan Battista Rossi et le lieu d’origine du Saint Pierre accueillant au Paradis saint Aspreno.
Cette aventure nous apporte ainsi la preuve que la restauration est bien l’affaire de tous.
Remerciements :
Frankline Barrès, restauratrice, et à son équipe ; Agnès Barruol, conservateur des antiquités et objets d’art des Bouches-du-Rhône ; Yves Cranga, conservateur des monuments historiques à la DRAC PACA ; Michel Lan, maire et Catherine Conigliaro, première adjointe de La Destrousse ; Nathalie Volle (INHA) ; ainsi qu’au CICRP, Roland May, directeur, Christine Benoit, ingénieure du patrimoine, Emilie Hubert, photographe, Yves Inchierman, photographe extérieur et Elisabeth Mognetti, ancienne directrice scientifique.
Notes
1 - Claude Badet, « La découverte d’un grand tableau napolitain en Provence », ArtItalies, n°20, 2014, p. 104-108
Nicola Spinosa, « Giovan Battista Rossi, pittore napoletano tra rococò e classicismo», ArtItalies, n°20, 2014, p. 109-115
2 - Ces examens ont été réalisés par Christine Benoit, ingénieure du patrimoine. Pour les résultats complets voir C. Benoit, Rapport d’étude, dossier 10050AI, CICRP, 26 avril 2011.
3 - Invalidant une attribution locale à François Marot puisque l’artiste avait disparu en 1719
4 - L’équipe était composée de Frankline Barrès, Thierry Martel, Virginie Trotignon, Sèverine Padiollau, Sylvie Ozenne, Laure Vanysendyck.
5 – Une telle opération dont le montant total a approché les 100 000 Euros, nécessitait pour cette petite commune de trouver des appuis financiers auprès des partenaires institutionnels (Etat et conseil général des Bouches-du-Rhône) complétés par une participation de la Fondation du Patrimoine ainsi que par les résultats d’une souscription publique qui a rencontré un succès certain.
6 – Outre l’équipe de restauration déjà citée, les transports ont été assurés par l’entreprise Aget, tandis que les encadrements ont été réalisés par l’Atelier Cadratem.